L'envol (Jordanie, Wadi Rum)

Les montgolfières modernes reprennent un principe inchangé depuis le XVIIIe siècle : l’air chaud est plus léger que l’air froid. En 1783, en pleine Révolution française, les frères Montgolfier testent leur invention au-dessus d’Annonay avec un ballon en toile et papier. Ce fut le premier vol habité de l’histoire humaine — et il fut vertical, silencieux, libre de tout moteur.

Le désert de Wadi Rum, surnommé la Vallée de la Lune, offre l’un des rares sites au monde où ce geste ancien trouve un écho visuel et symbolique : l’élévation y côtoie l’immémorial. Les roches du Wadi sont parmi les plus anciennes du Moyen-Orient, sculptées par le vent et le sable depuis des centaines de millions d’années. Voler ici, ce n’est pas fuir la terre, c’est s’élever au-dessus d’une mémoire géologique, d’un socle vieux comme la dérive des continents.

La flamme qui surgit ici n’est pas un simple outil technique. Elle est un seuil. Entre la nuit et le jour, entre le sol et l’air. Chaque allumage marque une intention : celle de s’arracher à la gravité, aux repères familiers, aux frontières visibles. On ne pilote pas une montgolfière : on l’accompagne, on la laisse suivre les courants.

Dans un monde qui veut tout diriger, il reste rare de monter pour ne pas contrôler, mais pour mieux observer. Cette ascension lente, brûlante, imparfaite, est aussi un geste poétique. Un contretemps nécessaire.